Ce serait une erreur fatale de croire que l’organisation de l’Etat islamique ne poursuivrait pas un dessein précis et parfaitement argumenté dont les visées, remontant à la nuit des temps islamiques, représentent au XXIème siècle un danger extrême dont, visiblement, l’on répugne à prendre la pleine mesure.
D’ailleurs, les intellectuels progressistes et autres élites perdues d’estime dont, hélas, regorge la France, puissamment relayés par la formidable caisse de résonance des médias aux ordres, ne ratent pas une occasion de rechercher l’apaisement là où, tout au contraire, il leur faudrait sonner le tocsin.
Pour Manuel Valls, invité du Grand Rendez-Vous Europe 1 en partenariat avec i-Télé et Le Monde (ICI) : “Cette menace veut combattre nos valeurs. Non pas celles de l’Occident, mais bien celles des humanistes, celles qui sont universelles (...) Nous vivons dans un monde où cette menace sera constante dans le temps, à son niveau très élevé, et il n’y a pas de risque zéro”.
Le plus tragique, dans cette déclaration gouvernementale, réside dans le déni officiellement acté du rôle éminent joué par la civilisation occidentale dans la quête de l’humanisme que l’on transforme, pour les besoins de la cause, en une vision réductrice d’un “jihad” de l’obscurantisme contre les Lumières !
La meilleure preuve de ce que j’avance se trouve dans une autre déclaration du même Manuel Valls, à quelques heures près, dans le JDD.fr (ICI):
“Nous ne sommes pas en guerre contre l’islam (...) La bataille se situe au sein même de l’islam avec, d’un côté, un islam pratiqué par l’immense majorité de nos compatriotes de confession musulmane qui revendiquent des valeurs humanistes universelles et, de l’autre, un islamisme obscurantiste et totalitaire”.
Tout mélanger jusqu’à se contredire d’un jour à l’autre montre à quel point nos actuels dirigeants (et pas seulement) se sont volontairement enfermés dans une prison idéologique au fond de laquelle, à moins d’une déchirante mais salvatrice prise de conscience, ils risquent de croupir à perpétuité...
“Que nous apprend le monde réel ? Qu’une guerre ouverte a été déclarée au monde occidental et à ses valeurs humanistes et universalistes les plus précieuses, donc les plus fragiles. Que cette peste verte est désormais planétaire et que nous n’en sommes probablement qu’au début. Que cette guerre est menée sur notre sol et que l’ennemi, aujourd’hui, est aussi bien intérieur qu’extérieur”.
Ces lignes empreintes d’une vérité récusée par les faiseurs d’opinion sont extraites d’une longue interview accordée par Alexandra Laignel-Lavastine* au Figarovox (texte intégral de l’interview ICI, dont Manuel Valls devrait prendre connaissance toutes affaires cessantes) dans laquelle, et c’est heureux, on peut aussi lire le message d’espoir suivant :
“Ce catéchisme binaire et rance (...) qui consiste à opposer avec paresse un monde européen forcément coupable à un monde musulman ontologiquement innocent, est tout à fait obsolète. L’ensemble des musulmans éclairés, dont nous relayons bien peu la parole alors qu’il s’agirait d’épouser leur combat comme hier celui des dissidents du bloc soviétique, nous le répètent pourtant à longueur de journée.”
Un peu plus loin dans le texte, et en remontant tout naturellement au tiers-mondisme des années 60, on peut lire ceci qui est accablant pour nombre de post-soixante-huitards attardés et nostalgiques d’un Woodstock planétaire à jamais inaccompli :
“Vous n’imaginez pas à quel point les musulmans “normaux” n’en peuvent plus de ce “Padamalgame” absurde – et désormais criminogène – qui tient lieu de prêt-à-penser à une partie de nos élites”. A bon entendeur...
Plus généralement, il faut dire la vérité sans fard aux Français pour leur permettre, tout en évitant de donner dans l’outrance, de mesurer par eux-mêmes l’intense menace planant sur leurs têtes et qui sera, comme le reconnaît lui-même le Premier ministre, “constante dans le temps, à son niveau très élevé”.
A la suite des trois attentats qui ont eu lieu simultanément dans le monde le jour même du premier anniversaire du califat proclamé par Abou Bakr Al Bagdadi, sur quelles bases la stratégie de l’Etat islamique se fonde-t-elle consistant, comme l’écrit Guy Millière (texte intégral ICI), à créer un climat de terreur généralisée et de déstabilisation visant le monde occidental ?
“En France, il s’agit de s’en prendre à un pays perçu comme un maillon faible du monde occidental, qui est aussi le principal pays musulman d’Europe.
“En Tunisie, il s’agit de broyer toute perspective de redressement économique d’un pays en difficulté depuis la chute de Ben Ali, et de tenter d’y semer un chaos qui serait le prolongement du chaos libyen.
“Au Koweit, il s’agit de tenter d’ébranler l’une des monarchies du Golfe participant à la coalition que tente de mettre sur pied l’Arabie Saoudite, et de susciter des dissensions intérieures en s’en prenant aux chiites.
“On doit surtout voir que si l’Etat islamique a une stratégie et des objectifs, ceux qui lui font face n’ont ni stratégie ni objectif”.
En guise de conclusion, que faut-il retenir de tout ce qui précède ? D’abord qu’il n’y a pas de fumée sans feu et que, par conséquent, l’organisation de l’Etat islamique alias Daech alias le califat est bien obligée de se référer à quelque chose pour exister et agir; ce quelque chose, je n'ai pas besoin de le nommer tant il est limpide.
En dernier lieu, Manuel Valls ayant lui-même reconnu qu’”il y a entre 10.000 et 15.000 salafistes aujourd’hui en France”, je vous laisse donc le soin de déterminer, ce qui ne sera pas bien difficile, le potentiel du péril intérieur qui n’attend qu’un signe venu de l’extérieur pour frapper, sans préavis, là où on ne l’attend pas.
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* Alexandra Laignel-Lavastine est docteur en philosophie, essayiste et historienne des idées et des intellectuels européens. Elle vient de publier chez Grasset (mai 2015) un ouvrage, “La pensée égarée – Islamisme, populisme, antisémitisme : essai sur les penchants suicidaires de l’Europe”.
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Philippe S. Robert
FRANCE